2

 

L’hélicoptère du médecin tournoya au-dessus de la plaine et atterrit devant la maison avec une rapidité qu’apprécia même Richard, qui guettait anxieusement sur le porche. Le médecin sauta à terre et s’avança dans l’herbe en se hâtant d’une curieuse allure sautillante. Il serra vivement la main de Richard.

« Comment va-t-elle ? » questionna-t-il brièvement d’une voix aiguë.

Richard le regarda avec inquiétude. Le médecin semblait avoir baissé depuis la dernière fois qu’il l’avait vu – il s’agitait presque aussi nerveusement qu’un encéphalographe. L’idée que ce cinglé mette au monde l’enfant de Sandra ne lui plaisait guère.

Il dit : « Elle est dans la chambre à coucher. Voulez-vous boire quelque chose ? Nous avons du vin fait à la maison. Cela pourrait vous remonter. »

Le médecin lui jeta un coup d’œil bizarre.

« Non, merci beaucoup, répliqua-t-il. Pas maintenant. Après, peut-être. Je me sens tout à fait en forme. »

Il partit au pas gymnastique vers la chambre à coucher.

Richard se versa un grand verre de vin et s’assit pour attendre les événements. Il ne croyait pas à la nécessité pour les maris d’assister à la naissance de leurs bébés – il se sentait parfaitement prêt à admettre, quand on lui présenterait l’enfant, que l’événement avait bien eu lieu. Il n’avait pas besoin d’autre preuve.

Les dernières semaines s’étaient écoulées sans incident : les herbages avaient continué à prospérer et, une ou deux fois, il avait fait tourner le moteur de la faucheuse pour s’assurer que la mécanique était en ordre. Il comptait commencer la fenaison dans un mois environ. Avec le supplément d’herbe des McGowan, il calculait qu’il serait à même de vendre au moins soixante-quinze pour cent de la récolte de cette saison, ce qui représenterait une jolie augmentation de son avoir en banque.

Les choses marchaient.

Le moment de satisfaction s’écoula et la crainte revint. Qu’est-ce qu’il se passait dans la chambre à coucher ? Est-ce que tout allait bien ? Il se leva, fit les cent pas, s’avisa tristement que son comportement était d’une banalité comique. Il sortit et resta au soleil à contempler le parfait tapis d’émeraude qui s’étendait jusqu’aux collines.

Il planterait quelques arbres pour commémorer l’événement, décida-t-il. Il n’y avait que trop peu d’arbres sur Jade. Cette plantation procurerait à Sandra un agréable endroit ombragé où elle pourrait s’asseoir les jours de chaleur. Il regarda d’un air méditatif les arbres devant la demeure des McGowan, à mi-distance, puis repoussa la tentation fugitive de les voler. Ils étaient beaucoup trop gros pour être transplantés. Il importerait de la Terre deux pommiers – ce serait bien mieux. De vrais fruits et de l’ombre en même temps qu’une dépense qu’ils pouvaient se permettre. L’été promettait d’être bon.

Il entendit la porte de la chambre s’ouvrir, se fermer, et se précipita à l’intérieur en clignant des yeux dans la soudaine pénombre.

Le médecin était sorti de la chambre à coucher.

« Comment va-t-elle ? » s’écria Richard.

Le médecin lui tapota l’épaule.

« Elle va très bien, dit-il d’une voix aiguë, avec un rapide clignotement des paupières. Tout à fait bien.

— Le bébé ?

— Un beau et solide petit gars. Félicitations. » Il secoua la main de Richard. « Je boirai bien ce verre maintenant, merci.

— Oui, naturellement. Là-bas. »

Richard fit un geste, entra en hâte dans la chambre, laissant le médecin se servir lui-même.

 

Sandra était adossée à ses oreillers, ses cheveux bruns tombant sur ses épaules, le bébé dans les bras.

« Salut, Dick », dit-elle en souriant d’un petit air suffisant comme si elle essayait – sans y réussir – de dissimuler une grande fierté.

Richard l’embrassa.

« Est-ce que tu ne regardes pas le bébé ? questionna Sandra.

— Heu… si. » Il tendit un index timide vers le visage ridé émergeant, telle une larve en train de se métamorphoser en chrysalide, du cocon des couvertures. « Superbe ! murmura-t-il, consterné. Absolument superbe ! Je suis fier de toi, chérie ! »

Soudain les rides s’effacèrent et le rouge vif pâlit, le bébé ayant finalement décidé de ne pas pleurer. Richard se pencha davantage.

« Il est d’une bien drôle de couleur, commenta-t-il avec anxiété.

— Quoi ? » Sandra regarda de plus près. « Oh ! je ne pense pas que ce soit grand-chose !

— Docteur ! » appela Richard.

Le médecin entra rapidement, verre en main, sa langue passant sur ses lèvres aussi vite que celle d’un serpent.

« Qu’y a-t-il ?

— Il me semble d’une drôle de couleur, dit Richard d’un ton de reproche. Il est presque jaune, comme un Chinois. Est-ce qu’il doit être de cette couleur ? Il va bien, n’est-ce pas ? »

Le médecin eut un bref sourire après tout juste un coup d’œil au bébé.

« Ce n’est pas grave… probablement une jaunisse légère. Le cas se rencontre souvent chez les nouveau-nés. Cela disparaît généralement au bout d’un jour ou deux. Appelez-moi par radio si cela ne s’améliore pas dans la semaine, et je ferai un saut pour l’examiner. »

Il bondit hors de la chambre. Ses pas rapides s’éloignèrent vers la porte, la franchirent. Un rugissement de mécanique s’éleva, diminua rapidement d’intensité comme l’hélicoptère filait au loin à toute allure.

« Il est parti, remarqua inutilement Sandra. Quel drôle d’homme.

— J’espère du fond du cœur qu’il connaît son métier. » Richard tâta la chair du bébé comme s’il palpait un morceau de viande. « Mon Dieu, nous sommes un peu isolés ici – nous pouvons difficilement demander l’avis de quelqu’un d’autre et il n’y a même pas une infirmière visiteuse dans le secteur.

— Il ira très bien, prédit Sandra avec confiance en serrant le bébé contre elle. Stephen ira très bien, n’est-ce pas, mon amour ? chuchota-t-elle tendrement.

— Stephen ? Stephen. » Il savoura le son. « Joli nom. D’où le sors-tu ? Un de tes anciens béguins ?

— Pour l’amour du Ciel, Dick ! on dirait que tu as encore bu avec l’estomac vide. C’est le nom de papa. Cela ne t’ennuie pas, hein ?

— Bien sûr que non. Mon Dieu ! J’avais oublié. » Il se frappa le front, rit. « Nous n’avons rien mangé aujourd’hui. Jésus, je suis navré, chérie. Qu’est-ce que je peux te donner ? Du bouillon de poule ? Du bœuf haché ? Un bon verre de lait ? »

Il s’efforça de ne pas grimacer à cette idée. « Je ne suis pas malade, Dick. Le même menu que d’habitude ira très bien. Du rôti de porc ou quelque chose de ce genre, des petits pois et le reste… tu sais. Mais pas trop, s’il te plaît.

— D’accord. »

Il sortit de la maison ; le tourbillon de poussière en train de s’abattre qui témoignait encore du récent départ de l’hélicoptère lui fit plisser les paupières, et il se dirigea vers la grange et Daisy.

 

« Cela ne me dit rien, déclara Sandra d’un ton catégorique un peu plus tard, en regardant avec répugnance le plateau de nourriture. Cela ne me dit vraiment rien. Qu’est-ce qui m’a pris de vouloir du rôti de porc, je me le demande. Miséricorde, je viens tout juste d’accoucher. En vérité, la seule chose qui me fasse envie, c’est de rester au soleil et de ne pas me fatiguer.

— Bonne idée. Je vais te préparer un endroit dehors. »

Prenant le plateau, il gagna la cuisine à grandes enjambées et versa son contenu dans la poubelle automatique. Il prit le matelas du lit d’amis, le porta dehors et le déposa sur l’herbe. Il alla chercher deux couvertures et un oreiller, aida Sandra à sortir. Elle s’étendit sur le lit improvisé avec un soupir de satisfaction et lui reprit Stephen.

Cela paraissait bizarre soudain de voir Sandra couchée au soleil dans sa chemise de nuit transparente. Richard s’apprêta à poser sur elle les couvertures.

« Mais non », dit-elle en souriant placidement.

Il rentra dans la maison. Le plateau était sur la table de la cuisine, où il l’avait laissé. Depuis combien de temps n’avait-il pas mangé ?

Trois jours ? Quatre jours. Il ne s’en souvenait plus. Cet écoulement du temps le préoccupait. Décidant que, de toute façon, il aurait un bon dîner substantiel plus tard dans la soirée, il but le reste de son verre de vin fait à la maison, puis il fit suivre d’un verre d’eau fraîche. Bientôt il commença à avoir faim, mais un peu seulement.

 

« Je ne sais pas ce que c’est, remarqua Sandra, mais on dirait que ça s’attrape. »

Ils étaient étendus au soleil, deux semaines plus tard. Entre-temps, ils s’étaient habitués à l’idée de se mettre nus pour prendre des bains de soleil. Somme toute, les passants étaient rares. Stephen, gras et satisfait, était couché entre ses parents. La journée était chaude et agréable.

« On peut presque voir bouger le soleil, remarqua Richard en contemplant le ciel bleu entre ses paupières presque closes.

— À ton avis, est-ce que nous avons un bronzage d’un genre nouveau ? demanda Sandra. Nous passons un temps fou couchés ici dehors, en ce moment.

— C’est ce qu’il y a de mieux pour nous », la rassura-t-il, en se remettant sur son séant pour s’examiner la peau du ventre. La couleur était bizarre, c’était certain, un jaune pâle, bilieux, complètement différent du brun foncé du hâle terrestre. La peau de Sandra était d’une couleur similaire, de même que celle de Stephen. Mais Stephen avait toujours été comme ça. « Ce ne peut pas être du bronzage, fit-il remarquer. Stephen est né de cette teinte. Peut-être est-ce lui qui nous a transmis ça.

— C’est cette nourriture artificielle de Daisy, déclara Sandra avec une brusque décision, sans tenir compte de la supposition de Richard. Une sorte de teinture en suspension dans l’herbe qui n’est pas extraite lors du processus de transformation.

— Ça se peut, dit Richard d’un ton rêveur, cela expliquerait sans doute aussi Stephen. En tout cas, cela ne paraît pas nous faire de mal.

— Vraiment ? Et notre perte d’appétit ? » L’inquiétude la gagnait. « Et cette sensation continuelle de lassitude. Je l’éprouve… tu t’en plains. Je t’assure, Dick, cela me tracasse. J’ai presque envie de faire venir le médecin. En tout cas, il faut que nous soyons en forme pour quand maman et papa viendront. »

Richard gémit doucement en son for intérieur. Il avait tenté d’oublier la prochaine visite des parents de Sandra. Cela avait été une condition – quasiment – de leur émigration que Mr. et Mrs. Roberts viennent séjourner avec eux pendant quelque temps une fois qu’ils seraient installés.

Sandra avait été inflexible.

Sinon nous ne partirons pas. Je ne peux pas supporter l’idée de ne plus jamais les revoir…

Richard, lui, n’avait aucune difficulté à endurer une séparation permanente d’avec ses beaux-parents. Il l’avait imprudemment avoué. Sandra avait réagi aussitôt.

Je ne comprends pas pourquoi tu ne les aimes pas. Ils ont de l’affection pour toi et ils ont été très bons à ton égard. Tu leur dois beaucoup.

Exact, mais l’idée d’un séjour pour une durée indéterminée était maintenant – comme à ce moment-là – difficile pour lui à affronter. Il se les représentait visitant le domaine. Le beau-père, bourru et cordial à l’excès.

Très agréable. Retour à la nature et tout ce qui s’ensuit. Louable. Je présume qu’il y a sur place une bonne école pour Stephen – le moment venu ?

La belle-mère, amidon et talons hauts.

Il y a un réseau d’égouts, je suppose, Sandra chérie ?

Oh ! Dieu ! Et ils seraient là dans quelques mois, à ses frais. Cela ferait un trou dans les économies.

Il se mit debout brusquement.

« Écoute, chérie, je crois que nous ne devrions pas courir de risques. Il ne faut pas donner à tes parents une raison de poser des questions sans fin – ni qu’ils nous trouvent malades. Cessons ces bains de soleil, à tout hasard. Nous sommes obligés de consommer la nourriture, mais du moins évitons autant que possible de nous mettre au soleil, en particulier Stephen. Puis, si l’état de notre peau, de quoi qu’il s’agisse, ne change pas, nous appellerons le médecin. »

Sandra ramassa Stephen.

« Tu as peut-être raison.

— Cela paraît étrange d’être à l’intérieur comme ça, dit-elle rêveusement quelques minutes plus tard. Anormal en quelque sorte quand la journée est si belle. On a l’impression d’être désœuvré. Quand vas-tu commencer la fenaison, Dick ?

— J’avais envie d’essayer la machine après déjeuner. Puis de commencer pour de bon demain, ou peut-être le jour suivant. »

Il ne voyait pas de raisons de se hâter.

« Déjeuner ? répéta-t-elle d’une voix hésitante. Je suppose que nous devons essayer de manger quelque chose. »

 

Plus tard, se sentant tout alourdi par la nourriture, Richard ouvrit en grand les portes de la grange et prit place sur la faucheuse. Il appuya sur le démarreur, le moteur toussa et se mit en marche, rugissant entre les quatre murs. Se souriant à lui-même, il repéra les vitesses. Il avait plaisir à conduire la grosse machine. Perché sur son siège à quelque trois mètres du sol, il se sentait le maître de la planète entière. Il était impatient d’arriver dans l’herbe, de la voir entraînée dans le ventre de la presse à balles par les lames géantes, comprimée, liée par des rubans métalliques et éjectée dans son sillage comme des bouteilles lancées d’un transatlantique.

Il s’immobilisa pour écouter, la main sur le changement de vitesse. Le ronronnement du moteur ne sonnait pas juste. Il était trop aigu, comme si le niveau d’huile était trop bas et les pistons sur le point de gripper. Il coupa en hâte le contact.

Il descendit, sortit la jauge du carter, l’examina, la remit en place, perplexe. Le niveau d’huile était haut. Il vérifia la boîte de vitesses : le niveau était normal, là aussi.

Haussant les épaules, il remonta sur le siège et remit le moteur en marche : il semblait tourner à peu près rond – aucun danger de caler ; peut-être était-il un peu emballé. Appuyant sur la pédale, il embraya.

Il se rendit compte de son erreur aussitôt qu’il releva le pied. Il avait, semble-t-il, mis en quatrième. L’engin démarra, prit de la vitesse et franchit en trombe les portes de la grange, tandis qu’il s’efforçait d’en rester maître.

Il aperçut le visage stupéfait de Sandra à la fenêtre quand il passa comme une flèche près de la maison. Puis il se trouva en rase campagne.

Il commença bientôt à se réjouir, car la faucheuse avançait rapidement dans l’herbe à ce qui était en fait sa vitesse normale de fonctionnement, les balles tombant régulièrement dans son sillage. Le problème des vitesses pouvait attendre son retour à la grange. Entre-temps, il prit la direction du domaine des McGowan en sifflant tout bas, tandis que les lames tourbillonnantes étincelaient au soleil.

Au bout d’un moment, les arbres des McGowan apparurent. Il empoigna le levier du changement de vitesse, décidé à rétrograder avant de tourner. Ce serait dommage de caler ici à des kilomètres de chez lui, dans l’impossibilité de faire repartir le moteur en quatrième et dans l’incapacité de trouver la première.

Le moteur tourna un moment au ralenti quand il débraya. Il appuya à petits coups sur l’accélérateur et manœuvra le levier en douceur, passant sans difficulté à la vitesse inférieure. Surpris, il étudia un instant le diagramme sur le tableau de bord. La position des vitesses avait l’air complètement erronée. Il relâcha la pédale.

La faucheuse fit un bond en avant à une vitesse incroyable. Les arbres se précipitèrent à sa rencontre. Il se jeta à bas du siège et s’abattit lourdement sur le sol tandis que la faucheuse emballée se fracassait contre un arbre et s’arrêtait net, moteur silencieux.

Il gisait sur le dos, étourdi, les yeux pleins de l’azur du ciel. Le globe doré du soleil glissait à travers la voûte bleutée, et il le vit nettement se déplacer.

 

« Je vais appeler le médecin, dit Sandra, avec une soudaine décision dans la voix.

Je n’ai rien, protesta Richard en clopinant vers son fauteuil, où il s’affala lourdement, content de ne plus être pour un moment sur ses pieds.

— Il ne s’agit pas seulement de toi. Est-ce que tu as vu Stephen, aujourd’hui ? »

Avec un sentiment de culpabilité, Richard se remit debout. Il avait été si occupé dernièrement qu’il n’avait guère eu de temps à consacrer aux problèmes domestiques de la famille. Trois semaines s’étaient écoulées depuis son accident avec la faucheuse. La première de ces semaines avait été entièrement absorbée par la réparation de l’appareil avec les quelques outils dont il disposait. Ensuite, il s’était remis à la fenaison en retard de son herbe et de celle des McGowan. Les travaux avaient été encore ralentis par le fait que ses pieds avaient commencé à le faire souffrir.

Il entrait maintenant en boitant péniblement dans la chambre et examina Stephen qui reposait tranquillement dans son berceau.

« Je suis sûre qu’il ne va pas bien, dit Sandra. Il reste étendu, inerte, ne pleurant un peu que de temps à autre – et il ne veut rien manger. Tu sais, il n’a cessé de décliner depuis que nous le gardons à l’intérieur. C’est comme s’il y avait quelque chose de malsain dans cette maison.

— C’est stupide. » Mais Richard était soucieux.

Stephen avait très bien poussé depuis trois semaines malgré sa couleur bilieuse. Du moins avait-il visiblement pris du poids. À présent, il semblait dépérir. « D’accord, fais venir le médecin. Il pourra examiner mes pieds en même temps. »

Sandra s’éclipsa. Elle revint bientôt, l’air effrayé. « Je ne peux pas obtenir le médecin, dit-elle. Je n’arrive à obtenir personne. La radio s’est détraquée. Tout ce que j’entends, c’est un drôle de bruit de parasites. »

C’était grave. Sans radio, ils étaient complètement privés d’aide extérieure en cas de besoin. Richard alla en hâte dans le living-room et s’assit devant l’appareil, tournant lentement le bouton de réglage, écoutant attentivement.

Le crépitement de friture s’éteignit quand fut atteinte la longueur d’onde du bulletin d’information quotidien. Une espèce de musique sortit du haut-parleur – un battement bizarre, rythmé, tel le tic-tac rapide d’une montre accompagné de paroles fiévreuses prononcées d’une voix aiguë. Ou bien ce qu’il prenait pour des voix n’était-il que les sons stridents d’un instrument ?

« On dirait presque un de ces anciens orchestres de la Trinité[1], hasarda Sandra.

— Elle ne marche pas. »

Richard eut subitement l’impression d’avoir un trou à la place de l’estomac. Ses poumons pesaient sur son cœur. Le miaulement surnaturel de la radio était issu d’un autre monde. Aucun enregistrement terrestre ne faisait ce bruit.

Brusquement le son cessa. Mais au lieu des intonations égales d’un annonceur, un gazouillis aigu émergea du poste, s’élevant et s’abaissant dans le plus haut registre.

« Il leur est arrivé quelque chose, dit lentement Richard.

— Tu veux dire une… invasion ? »

Sandra éprouvait une sainte terreur des êtres d’un autre monde, bien qu’il n’y eût aucune planète hostile à de nombreuses années-lumière de Jade.

« Je ne sais pas. Non, ce ne peut pas être ça. Il y aurait eu un avertissement quelconque, sûrement. Combien de fois écoutes-tu la radio ? Souvent ?

— Presque jamais. Il y a des siècles que je n’ai pas tourné le bouton. Je n’arrive jamais à en trouver le temps.

Ainsi il aurait pu arriver n’importe quoi sans que nous soyons avertis. Sapristi ! » Il resta silencieux, réfléchissant. « Je vais essayer encore les ondes courtes », dit-il enfin, en tournant le bouton.

Il trouva la fréquence du médecin, émit le signal d’appel et attendit.

La radio gazouilla, se tut, se remit à gazouiller.

« Ça, c’est une voix, dit-il sombrement. Une voix quelconque, qui parle. Et je ne comprends fichtrement rien à ce qu’elle dit. Jésus ! qu’est-il arrivé, Sandy ? »

Il mit les coudes sur la table et regarda fixement la radio, concentrant sa volonté pour qu’elle devienne intelligible.

 

Ils restèrent longtemps assis, à méditer avec inquiétude. Finalement, Richard se leva, en grimaçant de douleur quand il fut sur ses pieds.

« Il va falloir que j’aille me renseigner sur ce qui se passe et voir si je peux trouver quelqu’un qui examine Stephen.

— Mais il y a des kilomètres jusqu’à la prochaine exploitation.

— Je prendrai la faucheuse. Je devrais pouvoir m’en tirer en six heures environ. » Il jeta un coup d’œil par la fenêtre. Le soleil se couchait sur les collines, la demeure des McGowan était un point noir dans le lointain. « Je partirai dès l’aube.

— Regardons tes pieds. » À présent qu’une décision avait été prise, Sandra devenait soudain pratique. « S’il arrivait quoi que ce soit à la faucheuse, tu ne pourrais pas marcher. »

Elle se leva et traversa la pièce en clopinant jusqu’à l’armoire à pharmacie.

« Toi aussi ? demanda Richard. Tes pieds te font mal ?

— Je ne voulais pas t’inquiéter, Dick. Tu avais assez de soucis avec la faucheuse. Mais enfin… (elle eut un bref sourire) je vais soigner tes pieds et tu soigneras les miens. Puis je m’occuperai de ceux de Stephen.

— Il a mal aux pieds ?

— Ce matin, ils avaient l’air douloureux. Je lui mettrai une pommade dessus. Enlevons ces chaussures. »

Renversé dans un fauteuil, Richard laissa Sandra lui ôter ses chaussures, puis ses chaussettes.

« Doucement », dit-il quand elle commença à défaire le bandage qu’il avait enroulé le matin autour de ses pieds. Pendant qu’elle s’affairait, il repassa en esprit les événements des dernières semaines, méditant avec perplexité sur leurs diverses bizarreries.

Une explication simple s’imposait, terriblement simple. La raison lui disait que c’était impossible. Il se rappela qu’il n’avait pas fait part à Sandra de cette idée qu’il avait eue précisément à cause de son impossibilité – mais le véritable motif de son silence était que cette pensée le rendait malade de peur et il ne voyait, même maintenant, aucun intérêt à effrayer aussi Sandra.

Il était impossible, n’est-ce pas, que plusieurs régions d’une planète fonctionnent sur des rythmes de temps différents ? Cependant, tout indiquait que leurs mouvements devenaient lents et leurs appareils trop rapides pour eux. Néanmoins, se dit-il, il est impossible que le temps varie de nature dans les zones d’un même plan particulier. L’idée présentait une contradiction en soi.

Et pourtant, ces voix à la radio… il aurait juré que c’étaient des voix humaines, accélérées.

Lentement, Sandra défit la fine mousseline, dénudant le tampon de charpie sur la plante de son pied gauche. Avec précaution, elle retira le tissu.

En gémissant faiblement, Richard serra les bras de son fauteuil, les jointures blanchies, le visage crispé par la douleur, essayant de parler. Puis il s’effondra en arrière, sans connaissance.

« Désolée… oh ! je suis désolée, Dick !… »

Sandra regardait avec horreur la plante du pied gauche de Richard. La peau avait pelé avec la charpie… la chair luisait, sombre et à vif – et, jaillissant de cette humidité pourpre, il y avait des milliers de minuscules vrilles blanches semblables à des filaments.

Et malgré son horreur, malgré la vue de son mari gisant inconscient devant elle et la terrible pensée que se multipliaient sous sa propre chair de semblables abominations, son sentiment dominant était de soulagement à l’idée qu’aucun d’eux ne serait capable de quitter cet endroit. Elle, Richard et Stephen pourraient satisfaire le besoin de son être – qui avait pris possession d’elle ces dernières semaines comme une drogue impérieusement dominatrice.

Elle avait envie d’ôter ses vêtements, de sortir et de sentir les doigts chauds du soleil sur son corps affamé.

 

Les journées s’écoulaient vite. Ils étaient assis alternativement dans la clarté et l’obscurité devant la maison, la fenaison oubliée, ne pénétrant jamais à l’intérieur sinon pour chercher sans cesse des verres d’eau. Le soleil dardait ses rayons brûlants sur le jaune de plus en plus foncé de leur corps ; l’air froid de la nuit les rafraîchissait pendant de brefs moments avant que revienne le soleil, qui traçait un arc à travers le ciel dans une course de plus en plus rapide.

Stephen progressait à pas de géant. Il était couché, tranquille, sur une couverture à leurs pieds, et devenait de plus en plus fort avec chaque jour qui passait. Il était satisfait, ne réclamait jamais, acceptant des gorgées d’eau à de fréquents intervalles – pourtant son corps s’étoffait, ses membres devenaient fermes et forts.

Une étrange euphorie enveloppait la famille sur l’herbe. Le trio bougeait rarement – chacun trouvait même à peine nécessaire de respirer. Les pensées lentes de Richard étaient de plus en plus occupées par sa sensation de voluptueux bien-être à l’exclusion de toute idée abstraite. Un jour, alors que le soleil était particulièrement chaud et agréable après une nuit fraîche qui avait laissé leurs corps parsemés de gouttes de rosée semblables à des diamants, il avait commencé à dire quelque chose à Sandra, qui s’était tournée vers lui pour écouter. Il avait prononcé peut-être deux mots quand il s’était rendu compte que ses paroles n’avaient pas d’importance, que Sandra devrait faire un effort pour comprendre où il voulait en venir – que, de toute façon, la nuit était de nouveau là, et que la rosée fraîche tombait.

Il avait eu l’intention de parler de l’amélioration de ses pieds, qui n’étaient plus à vif et douloureux. Il s’était même levé avec lourdeur pendant que les ombres tournaient doucement autour des deux chaises longues, et, au crépuscule, il s’était assuré que la chair s’était cicatrisée bien que les vrilles fussent toujours là, un millier de longs filaments qui pendaient sous la plante de son pied.

Il avait conscience d’une vague langueur qu’il était incapable d’exprimer en mots, et il regarda Sandra, profitant de la brève durée du jour – elle lui rendit son regard et il sut qu’elle avait compris.

Mais, maintenant, il ne pouvait contraindre son corps à accomplir les mouvements de marche nécessaires pour le porter à l’intérieur de la maison et en ressortir avec de l’eau ; alors il resta dans le fauteuil, tandis que la langueur augmentait – et avec elle vint lentement la conscience qu’il y avait un autre moyen, meilleur, de satisfaire ce besoin obsédant.

Stephen fut le premier à bouger. Son esprit infantile était moins bridé par l’habitude des années, il pouvait plus facilement s’adapter aux circonstances nouvelles et reconnaître le besoin pour ce qu’il était. Il roula lentement vers le bord de sa couverture tandis que ses parents l’observaient, perplexes, avec des yeux qui ne cillaient pas. Son petit corps, maintenant sur l’herbe, prit la position du fœtus et, les genoux repliés sous le menton, il se remit à rouler, s’agenouilla et s’assit finalement à croupetons, les pieds à plat contre le sol, étreignant ses genoux dans ses petits bras.

Ce fut Richard qui bougea ensuite, repoussant de ses mains le montant de sa chaise longue, arrachant son corps inerte à sa position de repos. Dans son cas aussi, l’instinct prenait le dessus. Son corps se plia, sa poitrine et sa tête s’avancèrent si bien que, pendant un long moment, il fut assis courbé en deux sur le bord de la chaise longue, les cheveux tombant sur ses yeux. Il se redressa graduellement, quitta la chaise longue et se mit debout.

Ses pieds lui semblèrent d’abord spongieux et mal équilibrés. Il les frotta par terre, les changea de place, les enfonça à travers l’herbe dans le sol doux et parvint à se tenir debout, encerclé par son ombre mouvante.

Finalement, les vrilles de ses pieds sondèrent l’humidité sous la surface, et le liquide monta dans son corps, assouvissant un besoin qui le tenaillait depuis longtemps. Une fois de plus, le contentement envahit ses sens et il sentit son cœur ralentir au point de n’être plus qu’un battement spasmodique intermittent.

Sandra se tenait en face de lui. Elle le regardait avec calme.

Au bout d’un long moment, il ferma les yeux. Son dernier souvenir conscient fut celui du vent dans la chevelure de Sandra, et il conserva ce souvenir en lui tandis qu’il glissait doucement dans le demi-sommeil de l’immortalité de Jade.

 

Lentement, très lentement, il prit conscience qu’il était en position horizontale entre des draps de toile, le corps vêtu d’une sorte de pyjama. Il se sentait mortellement fatigué, mais quelque chose en lui le contraignait à être artificiellement sur le qui-vive alors que tout ce qu’il voulait c’était dormir.

« Réveille-toi, Richard ! »

La voix venait de tout autour de lui, si proche qu’elle aurait pu être à l’intérieur de sa propre tête. La voix, comme l’incitation agaçante à se réveiller logée dans son corps, était artificielle. Elle ne venait pas d’une volonté de sa propre conscience, elle lui imposait sa présence, mécanique et métallique, depuis une source extérieure. Il ne voulait pas de cette voix, aussi garda-t-il les yeux fermés et banda-t-il sa volonté pour qu’elle s’éloigne – mais graduellement la forme même de sa volonté s’intensifia, la vigilance monta en lui comme une sève. Il se retrouva haïssant la voix avec une violence qui rendait impossible le sommeil. Il ouvrit les yeux.

« Réveille-toi, Richard ! »

La voix qui s’exprimait avec une vigueur dynamique émergeait d’une ouverture masquée par des lamelles dans un coffret près de ses yeux. Pendant un moment, il examina le coffret, remarquant les contours vaguement familiers, les deux rouleaux dans le creux du plateau du dessus.

Il finit par se rendre compte qu’il était couché sur le côté et qu’il regardait un magnétophone à côté du lit. Il étendit son champ de vision et vit des murs et un plafond blancs et une porte qui scintillait bizarrement. Il tourna les yeux, suivant la courbe du plafond, aperçut un dispositif anguleux presque directement au-dessus de lui. À cet appareil était suspendue une bouteille de liquide rouge foncé. Du sang. Un tube fin pendait du col de la bouteille, qui était placée sens dessus dessous et disparaissait sous les couvertures de son lit. Pendant qu’il observait, le niveau du sang descendit rapidement, beaucoup trop rapidement, jusqu’à ce que la bouteille fût vide. Il eut conscience d’un curieux clignotement, accompagné d’un bruit si vite interrompu qu’il ne s’en souvint qu’à moitié, et la bouteille se trouva de nouveau pleine de sang. Brusquement, la chambre devint obscure et il ne vit plus rien.

La lumière revint bientôt ; la position du magnétophone était modifiée. La voix venait du haut-parleur, et elle avait dû changer car son diapason était légèrement différent.

« Je suis content de voir que vous êtes réveillé. Alors, en premier lieu, je veux que vous sachiez que votre femme et votre enfant sont en bonne santé. Vous êtes dans le Centre de réadaptation de la Terre et je vous parle à travers cet appareil parce que, pour le moment, vous ne comprendriez pas une voix normale. Je m’appelle Dr. Svenson et, de temps en temps, je m’assieds près de vous sur la chaise que vous pouvez voir à côté de votre lit. »

Richard vit la chaise et vit aussi qu’elle subissait presque constamment de petites secousses. De temps à autre, il croyait distinguer une silhouette assise, semi-transparente.

« Je ne vous vois pas nettement », dit Richard au fantôme.

Un sentiment de peur commençait à affleurer en lui, chassant sa léthargie.

« C’est parce que je ne suis pas toujours là, répondit la voix du magnétophone. Le temps s’est accéléré pour vous. Quand vous avez parlé, j’ai eu le temps de repasser votre remarque à grande vitesse, puis d’enregistrer ma réponse et de vous la retransmettre à vitesse réduite – mais je ne pense pas que vous ayez remarqué de décalage.

— Est-ce que je vais rester couché ici longtemps comme ça ? »

Il se sentait complètement retranché de l’humanité, terriblement seul.

« Pas longtemps d’après vos critères, répondit évasivement la voix. Ces choses-là sont relatives. Vous avez eu un sérieux à-coup. Actuellement, vous êtes sous traitement intensif et vous vous sentirez encore très faible pendant un moment. Vous avez eu de la chance. Vous avez été pris à temps. D’autres n’ont pas été aussi heureux. Oh ! Bon après-midi, Mr. Roberts ! (À voix faible.) Bon après-midi, docteur. Comment vont les malades ? (De nouveau à haute voix.) Ils vont très bien ! »

Le magnétophone avait l’air de tenir une conversation avec lui-même.

Puis la voix changea et Richard reconnut le timbre chaleureux du père de Sandra.

« Comment vous sentez-vous, Richard ? Une bonne chose que nous soyons allés vous voir sur votre satanée planète, hein ? Nous vous avons trouvés juste à temps. Ça nous a fichu un coup, je vous prie de le croire, de vous voir tous debout là comme de lugubres statues. J’ai toujours dit qu’il y avait quelque chose d’étrange dans cet endroit. En tout cas, je vous ai tous sortis de là drôlement vite, je vous le garantis. Et j’ai déposé une plainte contre la Société d’Exploitation de Jade. Je leur ai fait passer un mauvais quart d’heure… »

Richard cessa d’écouter.

Mon Dieu ! je n’en ai pas fini. Tout le reste de mon existence, il ne va cesser de me répéter comment il m’a sauvé la vie et celle de Sandra…

Il éprouva une brusque envie de revenir sur Jade, de rester tranquillement au soleil avec Sandra et Stephen, sans problèmes. Ses sens captèrent une fois encore la voix de son beau-père.

« Vous vous rendez compte, tromper le monde comme ça ! Les gens déposaient un acompte et achetaient leur ferme sans se douter que la planète était incapable d’entretenir la vie animale. Ah ! bah, il faut regarder avant de sauter, c’est ce que je dis toujours… »

La voix du Dr. Svenson intervint miséricordieusement, et Richard, qui avait de nouveau glissé dans un état défensif d’apathie, fit un grand effort pour communiquer.

« Qu’est-ce qui n’allait pas avec Jade ? Que s’est-il passé ? demanda-t-il.

— Vous avez entendu votre beau-père vous dire que Jade ne peut pas entretenir de vie animale ? C’est parfaitement exact et ç’aurait dû être évident pour la Société d’Exploitation – on aurait été fondé à penser que l’absence d’animaux quand ils ont exploré le terrain au début aurait suffi pour les amener au moins à enquêter plus à fond. Je ne suis pas bio-écologiste, mais j’ai entendu dire que le problème de Jade a quelque chose à voir avec la composition rigide des molécules organiques de base, qui ne sont pas décomposées quand elles sont ingérées par le système humain. L’absorption de ces molécules sous forme de nourriture a provoqué le remplacement graduel des cellules de votre corps par des cellules du type Jade, de construction fondamentalement semblable à celle des plantes. Vos mouvements se sont ralentis, votre pensée s’est ralentie, vos machines ont semblé aller trop vite pour vous. Vers la fin, ces effets ont été en s’accélérant rapidement. Mais l’effet le plus intéressant s’est produit dans les derniers stades, lorsque vous avez commencé progressivement à absorber de la nourriture par photosynthèse.

« Pendant des laps de temps qui allaient en augmentant, vous êtes restés au soleil, mangeant moins et obtenant des rayons solaires une plus grande partie de ce qui vous était nécessaire, pour en arriver au point où votre structure physique a commencé à changer et où des racines ciliées sont apparues sur vos pieds, exigeant d’être enterrées dans un sol humide… »

Richard lutta avec ses muscles mous, faisant des efforts désespérés pour bouger.

« Je veux voir ma femme et mon enfant, dit-il d’une voix faible.

— Bravo ! dit le Dr. Svenson. Continuez à penser. Continuez à parler. Et surtout continuez à essayer de bouger un peu. Nous ne pouvons pas vous faire vous exercer suffisamment – des exercices ordinaires ne donneraient aucun résultat avec vos muscles – vous seul pouvez vous aider. Ce que nous sommes à même de faire, c’est de remplacer votre flot sanguin par du sang neuf, vous injecter des anticoagulants et laisser le temps faire le reste. Votre femme et votre enfant ? Tournez-vous tout seul. »

Il bougea son corps centimètre par centimètre, se roulant très lentement sur lui-même pour se mettre sur le dos. Il tourna péniblement la tête, les muscles de son cou s’étant ankylosés par l’immobilité et, en moins d’une journée, il parvint à se trouver dans la direction opposée. Sandra, du lit voisin, l’observait.

« Salut, Dick ! » dit-elle prudemment avec un sourire mal assuré.

Il la comprit sans machine à traduire. Il lui parla et ne se sentit plus seul. La nuit vint et prit fin – une autre et une autre encore se succédèrent rapidement – la chevelure de Sandra redevint brune et la teinte jaunâtre de sa peau pâlit.

En la regardant étendue sur le lit métallique de la chambre rectangulaire au mobilier sévère, il se rappela avec une netteté parfaite la dernière fois qu’il l’avait vue, debout en face de lui sur Jade, Stephen tapi sans bouger à ses pieds. De nouveau, il contemplait la forme élancée de son corps, l’immuable expression sereine de son visage, l’envol de sa chevelure émeraude quand soufflait une petite brise – et au souvenir douloureux de cette vision d’éternité, il ressentit une impression de perte.

Mais, derrière le vert soyeux des cheveux de Sandra, il voyait les panaches verts, doux et légers comme de la plume, des quatre arbres près de la ferme avoisinante, et il sut, sans doute possible, ce que les McGowan était devenus.

Et le sourire enjoué sur le visage de Sandra étendue sur le lit d’hôpital lui fit comprendre que l’immortalité a ses inconvénients.

 

Traduit par Arlette Rosenblum.

Whatever became of the McGowans ?

© Galaxy Publishing Corp., 1970.

© Éditions Opta, pour la traduction.